Article

L’euro numérique: opportunités et pièges

Plus de 80% des banques centrales étudient la possibilité de passer à une forme numérique de l’argent fiduciaire. La Banque centrale européenne (BCE) ne fait pas exception, elle qui a bouclé en janvier 2021 sa consultation publique et devrait statuer, pour la mi-2021, sur la question de la création d’un euro numérique – et, si sa décision devait aller dans ce sens, sur ses modalités. Le concept exact de l’euro numérique, s’il voit le jour, dépendra des objectifs poursuivis par la Banque centrale elle-même (la robustesse et l’efficacité du système de paiement, la stabilité financière et l’autonomie de la politique monétaire, entre autres), mais aussi des besoins de ses utilisateurs (en termes de respect de la vie privée, de sécurité et de portée paneuropéenne du système). Reste qu’une monnaie virtuelle ne serait pas dépourvue d’inconvénients, au nombre desquels on peut citer ses retombées sur l’intermédiation financière du système bancaire et sur les relations entre les monnaies dématérialisées qui lutteraient pour le statut de devise de transaction et de réserve mondiale.

Tout cela n’empêche pas la question de susciter un intérêt croissant.

C’est donc le 12 janvier 2021 que la consultation publique de la BCE a pris fin. L’institution fera connaître ses conclusions au printemps et devrait statuer, pour la mi-2021, sur la question de la création d’un euro numérique – et, si sa décision devait aller dans ce sens, sur ses modalités.

L’idée d’une monnaie dématérialisée n’est pas neuve. Dès 1987 par exemple, James Tobin suggérait que la Réserve fédérale américaine (Fed) mette une forme de monnaie-dépôt scripturale à la disposition du grand public – en leur qualité de créances sur la Fed
, ces dépôts auraient été totalement dépourvus de risque.

Depuis, l’intérêt des banques centrales du monde entier pour ce thème n’a cessé de croître. Selon un document récent de la Banque des règlements internationaux (BRI), 80% environ des banques centrales du monde entier se sont penchées sur le sujet en 2019 (graphique 1). Toutes affirment qu’une monnaie numérique viendrait compléter, et non remplacer, l’argent physique.

Mais qu’est-ce qu’une ‘véritable’ monnaie numérique?

La ‘monnaie numérique de banque centrale’ (Central Bank Digital Currency, CBDC) étant l’équivalent virtuel de l’argent liquide, en d’autres termes une créance directe sur la banque centrale,elle serait totalement dépourvue de risque. Elle pourrait en principe être productive d’intérêts, éventuellement négatifs, ou assortie d’un système à plusieurs niveaux, en fonction du montant.Les ‘monnaies’ privées, comme le bitcoin, ne sont pas des devises à part entière: le bitcoin n’est pas une créance opposable et n’est pas garanti par une banque centrale ou par un quelconque autre organisme chargé de surveiller la valeur de l’argent. À l’instar de sa contrepartie physique, en revanche, la CBDC aurait indirectement une valeur intrinsèque, que lui confèrerait son statut de moyen de paiement ayant cours légal.À tout le moins l’utilisateur serait-il certain de pouvoir l’employer pour s’acquitter de sa dette fiscale envers l’État.

En quoi la monnaie numérique serait-elle intéressante?

Selon l’étude de la BRI, les banques centrales ont de bonnes raisons de se pencher sur le concept de monnaie numérique.
La première est la nécessité d’assurer la sécurité et la robustesse du système de paiement: en cas de force majeure, comme une catastrophe naturelle, l’accès à la monnaie de la banque centrale serait garanti.

La deuxième est qu’une monnaie numérique contribuerait à promouvoir l’efficacité du système de paiement national et international,en exploitant une technologie nouvelle d’abord, mais aussi en apportant une réponse au phénomène de l’abandon progressif des espèces physiques pour les paiements. Une monnaie dématérialisée pourrait également promouvoir l’inclusion financière des groupes de population qui n’ont actuellement pas accès au système de paiement traditionnel, en particulier au sein des économies émergentes.

La troisième est la stabilité financière au sens large: il est crucial de protéger l’autonomie et la souveraineté de la politique monétaire de la zone, ce que ne font pas les solutions non traditionnelles facilement disponibles au format numérique. Ces solutions peuvent avoir une origine privée, comme le bitcoin, ou être émises par certaines banques centrales étrangères, par exemple. L’impératif de défense s’inscrit donc au-delà du seul système de paiement,et tient également compte des conséquences possibles de la détention de dépôts, voire de prêts, virtuels. Pour l’instant, les banques centrales excluent unanimement l’idée d’accepter des dépôts en CBDC, ce qui pourrait nuire à terme à l’efficacité du mécanisme de transmission de la politique monétaire.

La perte de contrôle de la masse monétaire nationale pourrait par ailleurs mettre en danger la stabilité financière.Nul ne sait par exemple qui assumerait le rôle de prêteur en dernier ressort si les dépôts dématérialisés non traditionnels devaient déboucher sur des problèmes de liquidités.

Selon les premiers résultats de la consultation de la BCE, les utilisateurs potentiels d’un euro numérique estiment que l’accent devrait être mis sur la protection de la vie privée (41% des réponses), sur la sécurité d’utilisation (17%) et sur le caractère paneuropéen du système (10%).

Quelles seraient les implications d’une monnaie virtuelle?

Indépendamment de la question de sa conception pratique, un euro numérique aurait d’importantes répercussions sur le plan économique. Serait-il complémentaire aux espèces, voire les remplacerait-il, à tout le moins dans les faits? Les économies d’échelle réalisées au sein du système de paiement (les ‘effets réseau’) pourraient rendre une telle évolution très rapide. Ajoutons que la monnaie numérique serait un outil bienvenu dans la lutte contre la fraude et le blanchiment de capitaux et qu’une disparition de l’argent physique permettrait une fixation moins stricte des niveaux planchers des taux directeurs. La rémunération en intérêts de l’euro virtuel, qu’elle soit ou non dans un système à plusieurs niveaux en fonction du montant, joue un rôle crucial à cet égard.

L’adoption d’un euro numérique totalement sans risque pourrait favoriser la désintermédiation bancaire,ce qui affecterait vraisemblablement la collecte des dépôts et, partant, l’octroi de crédits par les banques commerciales. Mais d’après toutes les banques centrales, la CBDC n'aurait vocation à être qu’un moyen de paiement, pas une forme d’épargne ou d’investissement, ce qui pourrait par exemple être réalisé en en plafonnant la détention. Reste que son rôle de moyen d’épargne
(réserve de valeur) est, à côté de celui d’outil d’échange, une caractéristique déterminante de toute monnaie efficace. Si l’euro numérique devait devenir réalité, il n’est pas exclu que la Banque centrale finisse par autoriser son utilisation comme moyen d’épargne également.

Enfin, les CBDC auraient des retombées sur le système monétaire international.Il est en effet envisageable que les monnaies dématérialisées, surtout celles émises par les banques centrales qui mènent d’ores et déjà une politique en ce sens, se disputent la primauté sur les marchés financiers mondiaux. Un ordre numérique planétaire devrait donc préciser le cadre d’interaction des différentes monnaies (coopérantes ou concurrentes). Serait en effet en jeu, la place d'émetteur de la première devise de transaction et de réserve internationale, actuellement occupée par le dollar américain.

Avez-vous des questions après l'article?

Contactez votre chargé de relations

Le présent article est purement informatif et ne constitue en aucun cas un conseil en investissement.

Aussi intéressant pour vous